
Cette fois, il s'agit d'un film rendant compte de l'activité d'Objectif Sud, programme de l'ONG française GRET ( financée en majeure partie par l'Union Européenne). En deux mots, ce programme vise a développer l'Androy, région extrêmement pauvre et régulièrement affectée par la sécheresse, principalement au travers de micro-crédit aux villageois et de recherche agricole en collaboration avec les paysans. Jusqu'à la semaine précédant le tournage, le script est celui d'une fiction mettant en scène un jeune antandroy (contrairement à l'idée reçue, les habitants de l'Androy sont des Antandroys, et non des androïdes); un jeune Antandroy, disais-je, qui a quitté sa région natale pour tenter sa chance dans les mines de saphir de l'impitoyable Ilakaka. Carlos, c'est son nom, rentre au village pour se rendre au chevet de son père malade du palus et, préoccupé par le devenir de l'entreprise familiale de commerce de zébus et produis dérivés, fait appel à Objectif Sud afin d'être lui aussi micro-débité. Le père, quant à lui, succombe au palus et on organise une grande fête pour célébrer sa promotion au poste à haute responsabilité d'ancêtre, non sans sacrifier son cheptel de zébus (je sais, c'est pas ça qui va arranger les affaires, mais la tradition c'est la tradition).Si je me permets de vous raconter la fin, c'est que ce script n'a pas été retenu, et qu'au dernier moment sont apparues des divergences entre les responsables du programme et la coordinatrice du film pour l'ONG à l'origine dudit scénario. Bref, à quelques jours du début du tournage, on remet en question ce que devrait être ce film de vingt-six minutes. Fiction? Documentaire? Docu-fiction? Institutionnel? "Tout public"? D'un côté on veut dresser un bilan flatteur de l'action de l'ONG (le film s'adresse entre autres à des bailleurs de fonds, l'année où le GRET souffle ses trente bougies), de l'autre mettre en lumière des barrières culturelles, les limites de la vision et de l'action d'une organisation d'européens dans un endroit du globe où l'on ne partage pas forcément les mêmes valeurs. Finalement, ce sera un documentaire.
C'est un lundi matin nuageux que Njiva (prononcez Dziv), l'ingé-son ("l'homme perche", il fait 1,90m) et moi embarquons sur un vol AirMad. Une heure vingt de turbulence plus tard, nous voici arrivés à Fort Dauphin où nous retrouvons Marley (prononcez Marley), le chauffeur mis à notre disposition par l'ONG. Direction Ambovombe, "chef lieu" de l'Androy où est basée Objectif Sud; techniquement à moins d'une heure à vol d'oiseau. Malheureusement, nous ne sommes pas en oiseau mais en pick-up, et la région est très enclavée. Il nous faudra donc quatre heures pour rallier Ambovombe et enfin apercevoir les cactus et autres arbres épineux qui sont le signe distinctif de la région. Car en plus de souffrir du manque d'eau et de nourriture, les Antandroys sont condamnés à vivre dans un monde où il faut toujours faire des détours ou savoir sauter très haut pour éviter les cactus ( qui par ailleurs produisent un des uniques aliments en cette période de soudure : la raquette, petit fruit acidulé à la chair jaune). Un monde où l'on a par conséquent vite fait de se retrouver criblé d'épaisses épines.
Nous arrivons à Ambovombe à la tombée de la nuit. Là nous attendent Magali, la coordinatrice du projet pour Objectif Sud, et Hanitranaina, dite Hanitra (prononcez Andj) la réalisatrice du film déjà sur place depuis une semaine pour les repérages.
Hanitra est une réalisatrice free-lance résidant à Tana et contractée pour l'occasion par DDC. C'est avant tout une amie avec laquelle nous avons écumé les karaokés de la capitale ; une malgache de vingt huit ans qui a grandi dans la région parisienne et étudié le cinéma aux Etats Unis, avant de décider de s'installer dans son pays d'origine il y a deux ans.
Le temps de faire connaissance avec Magali autour d'un sakafo (repas), et le tournage démarre par la veillée d'Andry et ses amis Ambovombiens, réunis autour de lampes à gaz pour chanter et deviser sur la contribution de l'ONG au développement de leur région.
Le dialecte parlé en Androy est l'Antandroy. Njiva le comprend dans les grandes lignes ( il a déjà participé à plusieurs tournages dans la région ), et la plupart des gens ici comprennent le malgache des merina (ethnie des hauts plateaux ). Les animateurs Antandroys d'Objectif Sud, quant à eux, parlent tous couramment français. Cela dit, l'intégralité des dialogues et interviews filmés sera en Antandroy. Le rôle d'interprète revient donc à Andry qui, dès cette première soirée de tournage, se montre très naturel devant la caméra et met à l'aise les autres intervenants du film. Une fois cette première scène dans la boîte, Njiva et moi pouvons rejoindre l'humble maisonnette mise à notre disposition, pour une courte nuit de sommeil. Il faudra en effet se lever avant le soleil pour capter les "magic hours", et avoir assez de temps devant nous avant que la lumière du soleil ne devienne trop intense, sur les coups de onze heures. Manque de chance pour nous (mais coup de chance pour la région), le soleil n'est pas au rendez-vous et on annonce même de la pluie, chose rare en Androy. C'est donc sous un ciel oscillant entre blanc et gris que débute cette semaine.
La première journée est dédiée à des scènes dans les différents locaux d'Objectif Sud à Ambovombe, l'occasion d'un premier contact avec cette petite ville aux rues bordées de cactus. À l’exception de français travaillant pour l'ONG, dont l'inévitable antenne "Micro Finance" siège sur la place centrale de la ville, on ne croise pas l'ombre d'un "Vazaha" (étranger ). Du coup, notre présence, ajoutée à celle de la caméra, attise la curiosité et on s'habitue vite à tourner en permanence avec une vingtaine de "zaza" ( enfants ) derrière nous, qui observent les scènes d'un air sage, amusé et captivé. Là où nous passons, ce n'est bien entendu jamais inaperçus, mais les regards braqués sur nous sont tous emprunts de bienveillance et personne ne nous refuse un sourire. Les gens sont curieux et, comme le fait remarquer Andry, on a ici à coeur d'accueillir chaleureusement les étrangers. Ca peut bien sur sembler banal, une vision de carte postale, mais ce n'est pas évident quand on considère la pauvreté ambiante. On pourrait s'attendre à moins de sympathie, plus d'ammertume à l'égard de vahazas aisés qui viennent quelques jours documenter la misère.
Dès la matinée du deuxième jour, nous quittons Ambovombe pour aller à la rencontre des habitants des villages avoisinants, bénéficiaires des programmes de l'ONG. Dans le village de Maroalmenty, comme ce sera le cas dans les autres villages le reste de la semaine, ce sont des hordes d'enfants qui nous accueillent et Njiva hérite très vite du rôle de " perchman / animateur de zaza ", qui consiste à détourner l'attention des enfants de la caméra pendant que je filme, tout en continuant à prendre le son. Nous sommes là pour filmer une réunion entre les agents de crédit et les chefs de village ( sachant que la majeure partie du village est présente ). Avec l'aide d'Andry qui, une fois de plus, explique parfaitement aux différents intervenants la finalité du film et ce qu'on attend d'eux en leur faisant oublier la caméra, les échanges que nous filmons sont riches et les paysans saisissent cette opportunité d'exprimer entre autres leurs réserves vis à vis du programme. Il ressort principalement que l'argent octroyé pour développer leurs activités leur permet tout juste de survivre en ces temps de "kéré" (soudure).

Ces moments dans les villages, danse mise à part, resteront parmi les plus forts... à moins que ce ne soit l'effervescence du marche aux zébus hebdomadaire ou cette fin d'après-midi surréaliste chez l'Ombias, sorte de sorcière guérisseuse qui, ce jour là, provoqua une sacrée transe chez ses patientes...
Au terme de cette semaine, une quinzaine d'heures de film, a présent entre les mains de Hanitra pour le montage...
Et bientôt sur vos écrans !
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