Friday, May 04, 2007

Vendredi joli

C’est la coutume à Tana, le vendredi soir tout le monde sort pour aller passer du bon temps en famille ou chez des amis, suivi de la traditionnelle excursion en boite, au Karaoké, au resto ou au cabaret. Les plus branchés passeront une partie de la soirée sur le boulevard de l’indépendance à cuver du whisky en petits groupes au son grésillant des hauts parleurs des voitures alignées toutes portes ouvertes. Assis sur le capot, une Boston au bec, on attend le soleil matinal du samedi en échangeant des banalités. Les mélomanes se donnent rendez-vous au Piment Café, le jazz club en vogue de la ville. Affranchi des frais d’entrée modiques, on peut s’installer à une table et siroter une Three Horse Beer bien callé sur une chaise pliante bas de gamme made in China genre « Opération Solde d’été », le lot de 6 pour 19,99 Euros au Bricojardin de Montluçon. Les avant bras collé au bulgomme lui-même collé à la bière, on attend patiemment son assiette de frites ou la soupe Van Tan Mine commandées il y a une heure déjà. Juste avant le premier set, c’est généralement le moment d’interpeller la serveuse pour lui demander si elle n’avait pas remarqué un léger délai au niveau du service. Alors que la foule s’amoncelle dans la petite salle, et que les tables disponibles se font rares, elle vous annonce, l’œil vitreux et d’une mine désolée qu’il n’y a plus de frites à cette heure-ci. Bon, il reste de la bière ? Alors deux THB « mangatsika » (bien fraîches).

Le Piment Café a ses habitués, autant chez les musiciens que dans le public. Il faut venir assez tôt pour être sûr d’avoir une place, et pas celle de derrière le poteau ou bien la chaise BricoJardin ressoudée 50 fois par le copain du patron, celle qui vous laissera choir alors que vous regagnez votre table après avoir inspecté la cuisine en quête de trois patates à éplucher et balancer dans l’huile comme ça vite fait, quand même des frites c’est pas dur à faire – y pourrait se faire un max de pognon si ils commandaient 30 kgs de patates le vendredi matin. Les habitués du public, toujours bien placés et toujours les derniers à partir, viennent retrouver les habitués de la scène. Les jazzmen de Tana qui traînent leurs silhouettes de cabaret en cabaret et qui gardent le meilleur pour la fin, apothéose musicale d’un Vendredi joli : le Piment Café.

Ce soir là, c’est le pianiste Silo qui nous réunissait pour un concert en solo, qui par la suite c’est avéré être une scène ouverte à ses amis : le bassiste Toti et le batteur Nini. Sous des surnoms bi-syllabiques de Schtroumpfs malgaches se cachent trois talents exceptionnels de la musique moderne de l’Océan Indien. C’est Silo surtout qui impressionne par sa palette émotionnelle, la richesse de ses harmonies et la justesse de ses envolées lors de chorus qui peuvent durer 10 minutes sans cesser de surprendre, de faire sourire, de donner la chair de poule. La chimie créatrice de Silo est inqualifiable et varie selon l’humeur du moment. Courbé sur son piano, fiévreux comme Keith Jarret, il nous a servi un savant mélange fait de musiques locales saupoudrées d’harmonies brésiliennes, remplies de l’émotion d’un Bill Evans ou d’un Ibrahim Abdullah et finement relevées d’un soupçon de soul avec la grâce et la sensualité de Marvin Gaye. Le tout couronné d’une énergie débordante soutenue par le line-up Toti/Nini qui fonctionne à merveille. Discret mais ponctuant parfaitement les phrasés et les riffs du pianiste, le combo basse/batterie apporte une touche électrique percussive qui enflamme le public.

Quand la salle reprend en chœur les paroles des chansons de Silo, comme un hymne à la mélancolie qui hante la conscience collective malgache, une bouffée d’amour envahit le cœur. On oublie les frites et la soupe qu’on a toujours pas mangé. On s’en fout, au fond, d’avoir mal au cul sur ces chaises de pacotille mal rafistolées. On est bien, la chemise trempée de sueur parce qu’il fait chaud dans cette petite salle et les avant-bras collés au bulgomme fleuri. On est bien assis avec ses copains, à trinquer en fredonnant les refrains de Silo. Vendredi joli. Un soir sur terre. Un petit concert. La musique, quelques verres, l’amitié. C’est une simplicité partagée. Un moment d’émotion éphémère. Encore une bonne soirée au Piment Café.

be*mot © 2007

1 comment:

Vola said...

Arf,
Voilà l'adresse qu'il me manquait lors de mon dernier séjour à Tana !

Vivement d'autres vendredis jolis.

Bien à toi,